Note de service

Je suis dans un vol transatlantique. On vole, tranquilles. On boit un verre, et on va peut-être pouvoir regarder un film.
Soudain, un trou d’air. On perd 1500 pieds en une poignée de secondes. Le coeur au bord des lèvres on rattache les ceintures en serrant les dents.
Immense noeud à la place du bide. Qu’est-ce que je fais là ? Je voudrais être ailleurs. Laissez-moi sortir. En même temps, il n’est pas tellement question que je sorte de là à moins de vouloir sauter dans le vide et d’entrainer avec moi les autres passagers.
Tu vois un peu le topo ? Voilà. On vole depuis septembre. Je trouve ça long.

Cinq mois. Cinq mois d’attente. Cinq mois de colère. Cinq mois d’abattement. Cinq mois de détermination. Cinq mois de doute.
Négocier, discuter, envisager, supporter, hurler, décolérer, pleurer.

J’ai été embarqué sur ce vol sans le vouloir. Marche ou crève.
Je ne sais pas où je travaillerai dans un mois ou deux. Avec qui. Je peux supposer que je ferai encore le même métier. Je serai peut-être encore là, pour un temps. Sans doute pas. Peut-être. Je ne veux pas. Je ne sais pas.

Colère et peur, espoir et enthousiasme, ascenseur émotionnel.
Qu’est-ce que je veux, vraiment, au fond ? A quel prix ? Que suis-je prêt à lâcher ?

J’ai l’impression d’être devenu adulte, à quarante balais, en cours accéléré. « Devenez adulte en trois mois » aurait vanté l’affiche du stage. Mais je suis le seul stagiaire. J’ai pris dans la tête ce que j’aurais du prévoir, ce que j’avais prévu mais pas eu le courage de gérer, ce que je ne pouvais pas imaginer. Experience is what you get when you didn’t get what you expected. Remember ? Je viens d’en prendre une double ration, on the rocks.

Je paie, encore, le prix du même manque de férocité. Le gentil gars qui ne fera pas de vagues. J’ai déjà pris cher à cause de ça. Et ça recommence. Alors maintenant, je dois batailler pour sauver ce que je peux encore sauver. Je dois savoir ce qui compte vraiment, dans le fond. Et l’assumer. Ne pas lâcher, ne pas abandonner ? A quel prix ? Suis-je prêt à tout risquer pour ne pas m’abandonner à la meute ?
J’ai les deux pieds au bord du vide. Je vais devoir faire un saut. Le saut de la foi.

On a pris les chemins de traverses, on a fait des ronds dans l’eau, établi des équations à trois inconnues. Détaillé les scenari possibles.
Comme dit le militaire, le plan de bataille est obsolète au premier coup de feu. Rien ne se passe jamais comme on l’a imaginé, même quand on a envisagé tous les possibles.
Mais un jour tu finis par avoir fait le tour. Option après option tu arrives à ce moment où il ne reste plus guère que deux solutions.
Un jour tu sais qu’il est venu, ce moment où il faut appuyer sur un bouton. Il y a un rouge et un bleu. A moins que ce ne soient des pilules, je ne sais plus. Mais tu vas devoir y aller.

Qu’est-ce qui compte vraiment ? Qu’est-ce que tu sens, vraiment. Qu’est-ce qui te meut ? L’envie de quelque chose ou la peur du reste ? Tu tends vers quelque chose ou fuis autre chose ? Est-ce que tu sais encore ?

Négocier, paniquer, respirer, sourire, espérer, hurler.

Je pratique le tir à l’arc, comme je le disais dans un billet précédent. Il y a quelque chose comme trois mois je me suis subitement mis à tirer n’importe comment. Sans comprendre ce qui avait changé, je suis passé d’un niveau très correct (pour un jeune archer) à un niveau très faible et sans constance. Semaine après semaine à raison de deux à quatre heures par semaine, j’ai tout réappris. Base après base. Se poser, respirer, sentir les choses, placer ses gestes. Être là, mais pas trop. Être présent, mais pas sur-conscient.
Tout petit à petit, les choses ont commencé à s’améliorer. Tout petit à petit. Signe minuscule après signe minuscule, comme des signaux faibles.
J’ai ragé, trouvé ça injuste, eu tendance à me dire que je n’y arriverai plus, que finalement je suis nul et que ça n’était que le reflet de ce que je suis.
Mais je n’ai pas lâché. Et puis ça s’est amélioré. Et puis me voilà revenu grosso modo au niveau d’avant. Pour un temps en tout cas.

Comme avec mon arc, les pieds au bord du vide, il me faut agir, avec calme, détermination, laisser la séquence se dérouler sans la réfléchir trop fort, en étant conscient de ce qui se passe tout de même. Chaque flèche est unique. La précédente n’existe plus, la suivante pas encore. Tu es ici et maintenant.

La flèche est en place, l’encoche calée entre les nock-sets. Le viseur calé sur le jaune, j’entame la traction sur la corde. Bientôt la corde viendra embrasser le nez et la bouche, la main se caler sous la mâchoire. Alors les doigts se relâcheront en venant caresser la joue. Vingt-cinq livres vont écraser la flèche et la propulser, elle va filer en dansant.
Alors, les jeux seront faits.

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