Pour tout ça

Ca commence avec le bruit. Un bruit qui monte soudain, qui empli l’air.
Il faut presser un peu le pas. Courir. Jusqu’ici c’était loin. Cette fois ça y est, tu es devant. Tu te demandes peut-être ce que tu fais là, tandis que bruit enfle, qu’il faut y aller, puis se hisser. Trouver sa place.
Ca commence vraiment avec le bruit, avec le bruit, cette odeur, et le souffle, une bouffée, indescriptible. Tout est indescriptible. Le bruit. L’odeur. Le souffle qui te fouette le visage quelques secondes. Les sensations que ça fait. Le sentiment d’être là, d’être là pour ça. C’est irréel et très réel. Tu es là de ton plein gré, tu l’a voulu, attendu, et en même temps tu te demandes ce que tu fais là, alors que tu t’assoies comme tu peux, dans ce bruit, cette odeur.
Ils sourient, tu souris, on plaisante. Il y a le bruit, l’odeur, et cette petite boule dans le creux du ventre et la respiration un poil plus lourde.
Le bruit enfle, change, c’est si particulier, si caractéristique. Ca te remue. Tu ne voudrais surtout pas être ailleurs, tu es tranquille, même si la petite boule te rappelle que c’est si spécial.
Les mains font leur travail. A droite. A gauche. Une main sur la fesse. Tout est bon.

On est partis. Ca secoue, ça secoue, ça tangue, ça se calme. Tu te tiens bien.

Sur le cadran l’aiguille sort du rouge, puis du orange. Elle va sortir du jaune. Quinze petites minutes encore à peine. Courtes et longues à la fois. Pas de peur. Mais une tension. Un rappel.

L’aiguille a dépassé le 2. Tu refais les vérifications. Trois sangles. Trois poignées. Tout est là ? Une poignée. Deux poignées. Trois poignées.

Il faut se préparer. L’aiguille sur 3.5, la tension remonte. Trois poignées, un appareil de sécurité, une petite boule dans le ventre.
Casque ok, lunettes ok. Sourires, concentration, checks et shaka avec tout le monde.

L’aiguille arrive sur le 4. Le bruit encore, le bruit qui change, qui annonce que c’est le moment. La lumière rouge s’allume. Le régime diminue. On stabilise. Le plus proche a déverrouillé la porte et la fait coulisser.
Le bruit change encore, l’air s’engouffre, c’est juste une sensation indescriptible. Ce n’est pas seulement l’air qui souffle, pas juste le bruit, c’est tout ça en même temps, tout ce que ça annonce. L’air froid qui entre par cette porte grande ouverte, le bruit, et tu sais ce qui va se passer. Encore quelques secondes. Un « OK » sonore, tonique, donne le départ, et le vert s’allume.
Déjà les premiers ont déjà disparu, par la porte, dans un souffle. Wooof. Un souffle qui se ressent dans la carlingue, un léger tressautement.

Ca va être le moment. Un signe. C’est le moment. Tu te rapproches et te voilà maintenant à la porte. Accroupi. Une main sur la barre, concentré. Le vent te fouette le visage. Étonnamment la tension est moins forte. Presque disparue. Car maintenant vient le temps de l’action.
Le regard sur l’horizon, un bon de côté, le souffle t’emporte, et il n’y a plus rien. Rien que le l’air qui souffle, et toi, comme un grain de poussière.

Il n’y a rien, que l’air, la respiration un peu plus difficile, et un grand calme.
Silence, puis rapidement le souffle, nouveau, le souffle de la chute.

C’est un sentiment incroyable, sur lequel les mots glissent. Une sensation folle. Un mélange de sérénité et d’excitation. 60 secondes, 50 mètres par seconde.
Il n’y a plus qu’ici et maintenant. Un mer de nuages s’étale en dessous, elle se rapproche à toute vitesse. 200 km/h à travers le ciel, à travers le nuages. Higelin dans la tête… et le souffle de la chute dans les oreilles.

Sur le cadran l’aiguille a repris une course folle, en sens inverse. Un cran toutes les deux secondes, elle fait marche arrière, court vers son zéro. Seul ici, en trois dimensions. La gravité gouverne la chute, et cependant, elle semble comme mise entre parenthèses. Une roulade sur les nuages, le ciel remplace le sol qui remplace le ciel. Les bras se replacent, comme des ailes. Une roulade en sens inverse. Un tonneau. Tout est fou. Il n’y a rien d’autre qu’ici, maintenant. Arraché au monde pendant 60 secondes, arraché au monde qui se rapproche, si vite.

L’aiguille arrive dans le jaune, 1.5… 1500 mètres. Encore un instant. Ici, maintenant.
Tranquillement, la main gauche se positionne, la droite va attraper la poignée, la tire doucement, puis lâche le petit bout de toile dans le vent… quelques secondes…

La décélération est franche, de 200km/h à 30, en 5 secondes. Tu as regardé la voile se déplier, se gonfler, les suspentes tendues, et soudain tout est calme. Plus de bruit, et une décharge d’adrénaline.

Tu cries peut-être, là-haut dans les airs. A encore un kilomètre au-dessus du monde des hommes. Un ki-lo-mè-tre. Tu cries peut-être, un cri de libération, de joie, de rage de vivre. La joie d’avoir vécu ça, un truc totalement dingue, et la joie d’être là, vivant, et aussi parce que tout a bien fonctionné. Heureux de te sentir vivant, d’une façon si forte, comme si il avait fallu le mesurer comme ça, en ouvrant une porte sur 4000 mètres de vide, en ouvrant la porte d’un avion en parfait état pour se jeter dans ce vide, d’un bon, de plein gré. Comme si il avait fallu marcher sur le fil de la vie pour en ressentir la solidité, ou juste pour en vérifier l’existence.

Maintenant tu pilotes ta voile, admires le paysage, mais déjà tu repenses à ce saut, à ce qui était si incroyable. Et déjà te voilà posé, tout en douceur. Pendant que tu ramasses la voile de ton parachute le coeur qui bat encore bien vite tu repenses à ce moment où, parfois, tu te demandes ce que tu fais là ; ces moments où tu montes dans l’avion avec cette sensation hors des mots, et ces moments, ailleurs, où tu te demandes à quoi bon, tout ça. Tu y repenses et tu te dis : « Ah oui, voilà pourquoi je fais ça, pour tout ça ».

Une réflexion sur « Pour tout ça »

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