La maison de la Route du Bois

Il y avait, sur une route, un bosquet. Dans de ce bosquet, un mur, éventré par les soupirs du temps. Et quelque part au milieu, sans doute, une maison.

C’est une maison qui n’a pas de nom, qui n’a pas de lieu, qui n’a pas de visage, qui a une peur, qui est une peur.

Cette route, je l’ai prise des centaines de fois, seul ou avec Nico. Ce chemin, cette route peut-être oui, entre les vignes, sans dangers pour des enfants.

Le jour joyeuse, elle sentait les plaisirs qui nous menaient là : le marché d’à côté, et ses incroyables vendeurs de tout-en-stock, bonimenteurs fascinants, ou la plus grande ville et son glacier merveilleux.

A la tombée du jour, le soleil ramenait à lui la couverture de l’espoir et des joies, et nous abandonnait dans le froid et le désespoir d’une campagne révélant soudainement ses menaces.

Le jour, par bravade ou parce que nous avions l’esprit plein des promesses des mille parfums de glaces, ou des découpe-légumes-multi-tout, la maison de la route du Bois était pour ainsi dire invisible.

A la tombée du jour, elle se dressait contre l’horizon, comme un rempart entre les joies et l’insouciance, et la nuit éternelle.

Cette maison n’était plus une maison. Ou peut-être que si. Pour le savoir il aurait fallu franchir le mur d’enceinte en ruine.

Ce mur seul, même de loin, vous mettait un goût de cendre dans le regard. Passe ton chemin, enfant, ici tu pourrais te faire manger !

Cette maison n’était plus une maison. Ou peu-être que si. Mais pour le savoir il aurait fallu franchir ce mur en ruine, puis ce bosquet habité par des hordes de créatures maléfiques.

Cette maison ? A vrai dire on ne l’a jamais vue.

Le jour, sur cette route qui passait à peut-être cent mètres, je rêvais de prendre la bifurcation et d’aller à sa découverte. En aventurier, j’aurais bravement franchi le mur par une de ses brèches, avancé au milieu des arbres, découvert la maison, avant de mettre la main sur un trésor oublié, une cassette de louis scellée entre deux murs maintenant effondrés, au moins.

Le soir, aucune fatigue ne pouvait ralentir mon allure, aucune défaillance de mon fidèle vélo bleu ne pouvait m’arrêter.

La maison se dressait le long de cette route, Cap Horn aux pieds secs, sur ce chemin de Mouille-Pieds.

Je pédalais, pédalais, pédalais, jusqu’à l’orée du village. Alors sans doute, les esprits perdus sur cette lande devaient abandonner la partie en rageant et en promettant de prendre leur revanche lors de mon prochain passage.

Je n’ai jamais vu la maison. Je ne sais pas si elle existait même encore, si ces murs retenant les démons le jour cachaient une demeure à trésor.

En moi elle existe encore : les arbres d’automne dominant la campagne de leurs griffes assoiffées de notre désespoir me font encore penser à la Maison de la route du Bois.

Alors, quand mes enfants sont pris d’une frayeur, irrationnelle, enfantine, qu’ils ont peuplée d’un vampire ou autre monstre aux oreilles pointues, et que cette frayeur devient démesurée, trop envahissante aux yeux du papa rationnel que je suis devenu, quand il faut chercher à ramener la raison, j’essaie de ne pas oublier ma Maison de la route du Bois… ou le Bison Blanc.

Je vous ai raconté le Bison Blanc ?