Une machine à remonter le temps

Cette ville est une machine à remonter le temps.
Bien sûr il faut venir au bon moment. Il y a une saison.

Tout au long de l’année il y a nombreuses périodes de tumulte, de bruit, de fête.

Et il y a ces périodes où la ville est endormie. Et celle où elle semble sur le point de se réveiller.

Cette ville est une machine à remonter le temps…

Je marche dans ces rues endormies, comme hors du temps. La station attend son heure quand les premiers rayons d’un soleil printanier semblent seulement la ramener dans la lumière, la caresser délicatement, lui susurrer quelques mots pour la réveiller, lui apporter un souffle de vie.

Alors je marche, dans ces rues.

Cette atmosphère, ce silence, cette lumière si typique, la ville est endormie et je la visite comme un plateau de cinéma. Ces maisons de ville sans âge, comme que je les ai toujours connues, sont à moi.

Dans la torpeur d’un hiver qui se termine, je marche dans le silence des rues endormies. C’est mon privilège. Le temps est suspendu.

Cette ville est une machine à remonter le temps.

Je suis dans mes pas, dans ces rues, et dans mes pas je suis maintenant enfant, dans mes pas dans ces rues. Je parcours ces rues depuis une vie.

Je suis à nouveau cet enfant, mes pas avalent les ans.
Je suis cet enfant dans ces rues. Je suis transporté dans mes pas.

Je suis mes parents, et mes parents enfants dans ces mêmes rues.

C’est une machine à aspirer le temps. Il n’y a plus de temps. Il s’est arrêté, il a disparu.

Je suis moi, adulte, enfant, ma mère, mon grand père.

J’ai 40 ans, 10 ans, 4 ans, elle a 20 ans, 5 ans, il a 80 ans, 60 ans, 40 ans, 30 ans.

Je suis ma vie et leurs vies, leurs échos et mes échos dans ces rues éternelles.

Cette ville endormie, ni morte ni vivante m’enveloppe dans sa nostalgie, celle de nos vies qui défilent et ne sont plus, dont les échos semblent encore prisonniers de ses murs, celle de nos vies qui défilent et sont encore. Le temps est prisonnier de ces rues et de cette lumière.

C’est une machine à aspirer le temps… et les vies.

Alors tout semble futile, plus que jamais. Les soucis, et même les joies, se vident de sens.

Je suis là, ici, maintenant, avant, pour toujours. Je suis là. Je suis.
Je baigne dans cette nostalgie.
Alors il me faut revenir de la vie, de cette vie, à la vie, l’autre, la mienne.
Celle d’un père, d’un mari, d’un travailleur.

Je reviendrai voyager, naviguer entre ces vies, dans la mienne, comme un marin au long cours.