C’est ton vrai personnage

Quand je m’assieds à une place libre, dans ce train matinal, pour une nouvelle journée de travail, elles sont déjà installées, en grande conversation.

En réalité l’une fait la conversation et l’autre acquiesce régulièrement, pour l’essentiel.

« Je te verrais bien avec ce type de vêtements »

(…)
« tu devrais essayer ça »
(…)
« des choses plus barrées »
(…)
« comme quand tu as fait ton show à la soirée »
(…)
« c’est ton vrai personnage »
(…)
(…)

C’est ton vrai personnage. C’est ton vrai personnage.

Jusqu’à cet instant j’écoutais sans écouter, essayant plus de me concentrer sur ma lecture du jour, à mille lieues de ces questionnements vestimento-comportementaux.

Mais cette dernière réplique est venue me chercher, d’attraper par la main.

Dans le fond je crois qu’elle disait juste « c’est ce que tu es », mais j’ai entendu « tu es plein de personnages, de masques, que tu portes selon les circonstances, au gré des humeurs ou des interlocuteurs, des heures ou des peurs, et l’un d’eux est… le vrai » Le vrai ?

Et si elle avait raison ? Si nous n’étions jamais qu’en représentation ? A composer sans cesse notre personnage, nos personnages, nos facettes multiples, renvoyant une lumière travaillée, l’echo des attentes de nos compagnons ou collègues, amants ou ennemis ?

Et dans cette galerie de portraits, ce freak show personnel, qu’est-ce qui est vrai ? Y’a-t-il vraiment un personnage de référence, plutôt plus vrai que les autres, sorte de refuge de l’âme, balise dans la nuit, méridien de greenwich du moi ?

Le sais-je moi-même ? Ne suis-je pas finalement aussi en auto-représentation ? Mon premier spectateur, en même temps que le metteur en scène ?

Cette femme me fait me sentir Neo découvrant la Matrice. Où est le vrai ? Y’a-t-il du vrai ? Le vrai ne serait-il pas la somme des faux ? Ensemble, les faux seraient vrais. Je suis ces personnes, ces humeurs, façonnés par ces personnes et ces humeurs, ces jours et ces lieux.

Je suis le désert aux visages façonnés par le vent, aux dunes changeantes.

J’ai rédigé ce billet il y a quelques semaines. Depuis, le hasard de mes lectures (serendipity, you own my life) m’a fait découvrir les notions de self / faux self

Les gens ont l’air qu’on leur donne

Elle entre dans le train, et le monde lui appartient.

Elle a l’air d’une reine, cette femme peut tout, elle est belle. Elle est désirée.
Elle est juste très jeune mais elle me fascine.

Puis passe une seconde assassine, et mon regarde s’éclairci.
Est-elle une reine ?

Non. C’est une gamine. Elle a vingt ans et elle n’a d’assurance que ses forces rassemblées derrière la peur d’être là.

Je réalise qu’elle n’a que l’air que je lui donnais.

Dans mon humeur maussade et matinale, je plaçais les « autres » dans des vies meilleures, plus faciles, plus agréables.

J’ai pris cette assurance en carton pâte pour argent comptant et me suis laissé berner.

Je réalise qu’elle n’a que l’air que je lui donnais, qu’ils ont tous l’air que je veux bien leur donner. Ou bien l’air qu’ils me donnent et que je veux bien prendre. C’est un jeu de miroirs. De dupes. Vais-je refléter l’image du masque que tu as décidé de porter ? Au bonneteau des âmes, où est la noire ?

Bal des masques.

C’est plus compliqué : tu portes un masques, je porte un masque, je te mets un masque, et toi à moi.

Ce visage que je porte sous mon masque reçoit l’image de ton masque, filtrée par le mien.

Je perçois ton humeur dans la mienne, je construis ton personnage comme le mien. Cette construction est parfois fidèle à l’esprit (le tiens), parfois au mien.

Ici encore, le vrai et le faux sont complices d’une supercherie, le vrai et le faux ne sont guère que deux faces de la Matrice. Je suis Neo ne sachant plus où est la rouge, où est la bleue.