Ligne claire

Le paysage défile.

Cette lumière semble ne pas exister ailleurs qu’ici. Comme une qualité de lumière à part. Une intensité. Une vibration. En fait je ne sais pas. Mais c’est différent.

Le soleil bas d’une année encore jeune caresse la campagne déjà verte, d’un vert gras. Le monde s’est réveillé.

Le paysage défile et me happe. Il a cette saveur qui m’enivre. Rien. Pas de tours, pas d’immeubles pas de routes, de maisons. Des champs, quelques arbres, de la lumière. Des vignes, des champs. De la lumière.

Le regard est libre.

Il n’est pas contraint de rebondir sans cesse sur les constructions de l’homme, sur le béton des villes.

Il n’est pas contraint de réagir à un million de détails.

Les lignes sont simples, les formes aussi. En bande dessinée, le dessinateur de ce paysage se revendiquerait de la ligne claire.

Le paysage défile et m’emporte avec lui. Et il emporte les tumultes, les questions, les préoccupations du monde des vivants.

Ce paysage se suffit à lui-même.

Sa douceur, sa quiétude, cette lumière, font oublier la vie urbaine, et plongent dans le temps de l’insouciance.

Je voudrais être là pour toujours.

En marchant sur la plage, je pense à Sylvain Tesson dans sa cabane, l’Atlantique est mon Baïkal. Cet horizon aux lignes claires absorbe le temps et les questions.

Je voudrais être ici pour toujours.

Ici n’est pas le lieux des pourquoi, des comment. Ici se suffit. Maintenant se suffit. Être ici, maintenant.

Mille voix

Ma tête est pleine.
Ma tête est pleine de mille voix qui chuchotent.

Elles m’interpellent, m’avertissent, me tancent, me relancent.

Ces mille sont moi, mes moi, mes voix. Je suis ces mille.

Chaque pensée ouvre une voie à une voix qui s’empare du micro. L’une s’inquiète, l’autre s’emballe, une s’étonne.
Ces voix s’élèvent, je suis une salle des pas perdus, aux echos incessants.

Comme un hôte poli qui aurait trop invité, je virevolte d’un convive à l’autre. D’un sujet à l’autre. D’une voix à l’autre.

Je m’épuise, je me vide. J’aspire au calme.

– Rentrez chez vous s’il vous plaît, j’ai besoin de me reposer.
– Mais, nous sommes chez nous ici…

J’entre dans un wagon du train. Il est 8h, et mille étrangers chuchotent, échangent, téléphonent.

C’est trop. Je voudrais crier « silence » !

Alors je ferme les yeux. Je respire doucement. Intérieurement je ferme les rideaux, et les volets aussi.
Je respire doucement et je recommence. Et je recommence…

Le silence se fait. Mes milles voix et leurs milles voix se taisent. Je suis là, je le sens, mais je suis enfin seul.

Tout est si calme. C’est si rare