Sans un homme

C’est un de ces jours où le coeur et l’âme sont alourdies d’une torpeur indomptable.
La fatigue de plusieurs semaines de tensions, de nuits sans convictions, a siphoné le réservoir d’espoir. Un samedi, puis un dimanche, où l’on navigue à vue, à plat.
Les mots son comptés, le cerveau en berne n’aspire qu’au sommeil.
Petit à petit, toute énergie m’a quitté, ne laissant que vide et langueur.

J’ai dans le coeur le silence des jours sans voix.

J’aimerais rêver, j’aimerais être animé de l’énergie des rêves et des espoirs.
J’aimerais me battre contre des moulins, construire les projets de plusieurs vies.
J’envie la fougue, mais le vide répond en écho à mes espoirs.

J’ai regardé défiler ces jours et ces semaines, je me suis battu, ai défié les événements, tenu bon dans la tempête. Je suis debout mais j’aimerais mettre un genou à terre. Souffler, puis m’allonger.

Autour de moi le monde semble plus fou que jamais. Il court, il s’affole. Le vent et le temps tourbillonnent.
Je n’arrive plus à me projeter dans ce temps, dans ces gens.
Ce projet que j’ai combattu, ce projet que je leur ai opposé, ce ne sont que des constructions. Ils ne veulent rien dire.
Toutes ces choses sont vaines. Rien n’a de sens. Cette débauche d’énergie est vaine.

Rien n’a de sens que le temps arrêté. Je parcours nos rues. D’un pas lent. J’ai arrêté le monde aux portes de mon coeur et j’ai opposé mon temps. Je marche, lentement. Le ciel est bleu, de ce bleu éternel. C’est cette machine à remonter dans le temps qui m’emporte chaque fois à 20 ans, à 15 ans, à 10 ans.
Ce coin de ciel bleu m’aspire. Il m’arrache à ce monde.
Ce coin de ciel bleu m’arrache à ici et maintenant pour, bizarrement, les rendre éternels. Ce ciel limpide, ce bleu intense, seul horizon hors du monde. Le regard s’y perd, il est est vide de tout homme ou construction.

Rien n’a de sens que le temps arrêté, qui fait d’ici et maintenant un joyau si pur.

Le ciel est bleu et le doigt d’un soleil d’automne audacieux vient caresser mon visage.
Je suis las, je laisse les larmes laver mes yeux de la laideur du monde. Je laisse le soleil réchauffer mon visage et mon coeur.

Je voudrais mettre mes pas dans un monde sans hommes. Je voudrais être dans mon île, parcourir ces rues que je sais vides, ces chemins bruissant des l’écho des seuls souvenirs. J’aimerais remonter le chemin des Brardes, jusqu’au Peu de Hommes qui porterait si bien son nom.
J’aimerais m’arracher au temps des hommes, aux lieux de hommes, laisser l’air m’emplir et mon âme reposer. Je voudrais laisser le temps me panser. M’emplir de ce temps sans actions. Cesser de chercher à construire quand mon coeur n’aspire qu’à souffler. Je suis vide ce ce vide. De cette énergie déployée à tenir un cap vers nul part.
Je suis fatigué de cette fatigue. De vouloir ce que je ne sais nommer, de me battre pour ce que je ne sais défendre.

Pourtant je vis dans le monde des hommes. Je ne peux m’en extraire qu’en rêve. Ou en suspendant le temps.

Je respire, je souffle. Je me contente d’être ici, maintenant. Juste maintenant et pour une éternité. Je respire, je souffle. Je suis là, le soleil me caresse et me souri.

 

Le paradoxe du patron (2/2) : méditation autour d’une corde

Ce billet est la suite complète et termine « Le paradoxe du patron (1/2) : relier les points« .

Dans la série des petites phrases que j’ai dans un coin de la tête, et qui me servent de ligne de conduite, l’une de mes préférées est celle-ci :

« Experience is what you get when you didn’t get what you expected »

« L’expérience c’est ce que vous récoltez lorsqu’il ne s’est pas passé ce à quoi vous vous attendiez »

Randy Pausch

Ca a l’air bête à dire comme ça mais c’est d’une justesse redoutable.
Les succès sont importants : ils font du bien au moral, et aussi au portefeuille quand on est une entreprise, mais on apprend plus de ses échecs ou semi-échecs. Quand il ne se passe pas ce que j’attendais, ce qui correspond parfois à un vrai échec, pleurer m’a rarement aidé. Se poser pour comprendre, et apprendre, est ce qui permet de grandir.

Durant ces années en tant que salarié, puis patron, j’ai appris plusieurs choses essentielles.

D’abord, il faut respirer : respirer un grand coup dans un moment de stress, avant de prendre position, de répondre, s’offrir des respirations dans une semaine chargées. On ne peut pas courir en apnée.
D’ailleurs, en parlant de courir : ne jamais se précipiter. La précipitation est mère des pires âneries. « Hâtons-nous lentement », disent les militaires, paraphrasant Nicolas Boileau. Il faut agir sans tarder quand la situation le nécessite, mais pas plus vite que la musique. Dans la précipitation on néglige les fondamentaux, on fait des erreurs, qui vont complexifier la situation, accentuer le stress, qui va générer du stress, qui va…

Les fondamentaux, autre règle essentielle : quoique l’on fasse, dans une situation donnée, se demander quels sont les fondamentaux, et les vérifier. Si je construis un système technique, une argumentation commerciale, un raisonnement ou n’importe quoi d’autre, sur la base d’informations, de données, de calculs, ou de croyances, ne pas les vérifier dès le départ m’expose aux plus cruelles des « expériences ».

Le plus dur ensuite, c’est de réussir à voir plus loin que le bout de son nez… mais pas trop loin : ne pas chercher à maîtriser l’avenir et ses cinquante scenari possibles sans pour autant partir à la dérive.

Je suis en plein dedans. Dans une période de transition aux multiples issues possibles. Je ne maîtrise pas tous les éléments. Il y ceux qui relèvent de ma décision, dont certains impliquent des choix stratégiques, des aspects financiers aussi, et ceux qui relèvent des choix d’autres personnes, que je ne peux pas maîtriser. Il me faut porter mon regard vers l’avenir. Trop loin n’aurait pas de sens car le champ des possible trop vaste ne ferait que me paralyser d’angoisse. Trop proche non plus car à avancer en regardant le bout de ses pieds on fini le nez dans un mur.
Porter le regard vers l’avenir régulièrement mais ne pas s’y perdre. C’est un cap à tenir, mais pour y arriver il ne faut pas oublier aujourd’hui, demain, après-demain.
L’issue dépend souvent de multiples problématiques, entremêlées. Je dois résoudre cette problématique, de laquelle sortiront deux possibilités, qui elles-mêmes… etc.

« One game at a time » – Tyrion Lannister (Game of Thrones)

Chercher à voir trop loin peut me mener dans un mur mais aussi ne servir à rien tout simplement parcequ’à chaque étape les cartes peuvent être rebattues. La semaine que je viens de passer me l’a encore montré. Certitudes, succédant à défaitisme, espoirs, désespoir. Ce qui n’est pas sûr… n’est pas sûr… Une chose après l’autre.

J’ai découvert cette année le tir à l’arc, et y ai appris beaucoup de choses. Le tir à l’arc est un bon résumé de tout ce que je viens d’évoquer. On peut y illustrer tous les aspects de la vie de chef d’entreprise notamment, et de la vie tout court sans doute.
La première leçon est que si tu n’es pas à ce que tu fais, tu n’auras pas de bons résultats. Il faut cet équilibre entre concentration et relâchement. Être là, pas la tête en train de refaire la discussion de ce matin avec le client, sans être perdu dans les détails. Le mouvement doit être fluide et naturel, pour que tous les détails, essentiels, ne deviennent pas des obstacles. Si je me concentre trop consciemment sur la position de la main ici, de ce doigt, ou de ce pied là, je perds la fluidité, j’oublie autre chose, je me crispe ailleurs. A la fin je suis dans le rouge ou le bleu. Je vise le jaune.
Respirer est essentiel aussi. Oublie de respirer, ou respire trop vite : tu trembles, tu te crispes. Respirer, se détendre, être souple, être là, dans l’instant.
La séquence doit être déroulée, chaque geste demande précision dans l’exécution et le tempo, chacun à son tour.

C’est aussi une forme de méditation assez inattendue. Je ressors de là apaisé, l’esprit tranquille. Pendant deux heures je n’ai pensé à rien. Ca n’a pas de prix.

Enfin, la physique de l’archerie nous offre un dernier enseignement qui a pour moi beaucoup de saveur en cette période.
On l’appelle le paradoxe de l’archer. Selon les époques et les sources, ce terme désigne deux aspects voisins. Historiquement il a été utilisé pour désigner le fait que pour atteindre le centre de la cible, il faut viser un point légèrement sur le côté. Pour atteindre la cible il ne faut pas la viser, voilà le paradoxe. C’est lié aux déformations de la flèche pendant son trajet. Maintenant on désigne justement souvent par ce terme le fait que la trajectoire de la flèche n’est non seulement pas droite, mais que la flèche elle-même ne l’est pas. Elle se tortille comme un serpent dès le départ pour se stabiliser au cours de sa course. Il faut le voir pour le croire.

« Le chemin entre deux points est parfois une succession de lignes droites »

Moi-même Tseu, hier.

Je suis maintenant au milieu d’une période riche en réflexions, questionnements, angoisses et joies mêlées. A un moment de ma vie où j’arrive à réaliser que tout ce qui n’avait pas de sens en a finalement peut-être un peu, et où je suis aussi plus capable de prendre conscience de ce que j’ai appris pendant que j’avais l’impression de subir les épreuves.

J’en suis là, au milieu d’une histoire. Au milieu de ma vie probablement, mais surtout au milieu d’un moment clé de ma vie professionnelle donc, qui me permet de réaliser que j’ai construit des choses, que j’ai appris, mais qu’il faut savoir où regarder. Je vais vous abandonner comme ça, en rase campagne, sans vous raconter la suite, car je ne la connais pas. J’avais envie de partager ces réflexions de mes dernières semaines, ces fondamentaux sur lesquels je fonctionne. La suite dans quelques mois !

Contemplations en bleu

Je suis allongé sur le lit. Par la fenêtre ouverte, l’air du matin me caresse.
Je suis allongé et mon univers est un carré de ciel bleu.
Un morceau de toit et cette fenêtre pour cadre, ce ciel pour toile.

Je me fonds dans ce ciel. Ma respiration ralenti.

Sur cette toile, des hirondelles tracent une calligraphie mystérieuse.

Dans une chorégraphie infinie, leurs silhouettes se dessinent, apparaissant à droite ou à gauche du tableau, laissant des traits invisibles avant de disparaître.

Je me fonds dans la toile.
Mon esprit s’est tut. Les conversations intérieures, les questionnements, les commentaires, toutes les voix ont fait le silence.

Sensations pures. Respiration. L’air est comme tangible. Il va, vient, apaisant.
Cet air a une odeur de printemps. De paix. Il est empli des stridulations des calligraphes. Le temps est suspendu dans ce mouvement. Il n’y a plus d’hier ni de demain.

Je marche sur un fil invisible suspendu entre éternité et humanité. Entre respirations et réalité.

Je voudrais m’abandonner complètement à ces sensations, dans cette paix.
Quelque chose me retient, fil invisible. La vie, ses questionnements, ses obligations, ses craintes, sont là.
Cette petite voix ne peux me laisser m’abandonner totalement.

La vie c’est celle-là ou l’autre ?
Je suis sur un fil, entre abandon et conscience.
J’écoute Mozart d’une oreille et Mireille Mathieu de l’autre.

Laisse-moi me fondre dans cette toile. C’est un portail dans le temps. Ce carré bleu, ces chorégraphies calligraphes éternelles sont un fil rouge.
J’ai à nouveau 20 ans, ou 15 ans, ou 5 ans. Je suis sur mon lit, chez mes grand-parents. L’air est iodé. Les calligraphes sont là. Leur chorégraphie est la même.
Cette toile se peignait déjà. Je la contemple dans un apaisement si rare. Nostalgie d’une vie qui défile, autant que refuge dans une vie qui tiraille.

Je suis suspendu dans ce ciel, tandis que le fil me tire, me rappelle à la vie qui défile.