Contemplations en bleu

Je suis allongé sur le lit. Par la fenêtre ouverte, l’air du matin me caresse.
Je suis allongé et mon univers est un carré de ciel bleu.
Un morceau de toit et cette fenêtre pour cadre, ce ciel pour toile.

Je me fonds dans ce ciel. Ma respiration ralenti.

Sur cette toile, des hirondelles tracent une calligraphie mystérieuse.

Dans une chorégraphie infinie, leurs silhouettes se dessinent, apparaissant à droite ou à gauche du tableau, laissant des traits invisibles avant de disparaître.

Je me fonds dans la toile.
Mon esprit s’est tut. Les conversations intérieures, les questionnements, les commentaires, toutes les voix ont fait le silence.

Sensations pures. Respiration. L’air est comme tangible. Il va, vient, apaisant.
Cet air a une odeur de printemps. De paix. Il est empli des stridulations des calligraphes. Le temps est suspendu dans ce mouvement. Il n’y a plus d’hier ni de demain.

Je marche sur un fil invisible suspendu entre éternité et humanité. Entre respirations et réalité.

Je voudrais m’abandonner complètement à ces sensations, dans cette paix.
Quelque chose me retient, fil invisible. La vie, ses questionnements, ses obligations, ses craintes, sont là.
Cette petite voix ne peux me laisser m’abandonner totalement.

La vie c’est celle-là ou l’autre ?
Je suis sur un fil, entre abandon et conscience.
J’écoute Mozart d’une oreille et Mireille Mathieu de l’autre.

Laisse-moi me fondre dans cette toile. C’est un portail dans le temps. Ce carré bleu, ces chorégraphies calligraphes éternelles sont un fil rouge.
J’ai à nouveau 20 ans, ou 15 ans, ou 5 ans. Je suis sur mon lit, chez mes grand-parents. L’air est iodé. Les calligraphes sont là. Leur chorégraphie est la même.
Cette toile se peignait déjà. Je la contemple dans un apaisement si rare. Nostalgie d’une vie qui défile, autant que refuge dans une vie qui tiraille.

Je suis suspendu dans ce ciel, tandis que le fil me tire, me rappelle à la vie qui défile.

Drogué

Tu te nommes Keith, Tomás, Sebastião, James, Pierre, et tant d’autres.
Je t’écris une lettre, que tu liras peut-être.
Toi qui sait me faire vibrer, je t’écris ces mots.

Tu es ma drogue, ma came. Tes mots, tes images ou tes sons m’emportent.

Quand j’écoute ce concert, lis ce texte, me plonge dans ces photos, mon âme est un cerf-volant que ton art fait voler.
Je m’absente du monde, tu m’enlèves, nous partons.
Dans un courant ascendant, emportés par un riff, une rafale de notes, ou le blast d’un visage éternisé dans les grains d’argent.

Ce ne sont pas des mots, ce n’est pas une musique, ce n’est pas une photo. C’est une bombe émotionnelle. Elle vient d’exploser.
Pendant quelques secondes, quelques minutes, dans une forme de near life experience, je suis sensations, je viens de prendre un shoot d’émotions.

Je m’échappe de mon corps, de ce poids, de ces contingences, de ces cris.
Ces émotions sont ma pleine conscience.
Je ressens, les mots sont inutiles. Je vibre, les paroles n’ont plus leur place.
La vie semble alors avoir un sens nouveau.

C’est un shoot, et bientôt j’en voudrai encore.
C’est un shoot et tu es ma drogue.

Observatoire des marchés

Le monde se joue dans les marchés, tu sais. Tout le monde le sait.

Il en va souvent des évidences comme du reste : il te faut ouvrir les yeux. Être sur la bonne fréquence, le bon tempo. Sinon, tu as beau savoir, tu passes à côté.

Ce matin était un matin comme ça. Un blues collant aux basques, l’esprit englué dedans, je surnageais entre les deux eaux d’une fatigue trop grande et d’un moral trop bas.

Aux prises avec les courbes de mon humeur, j’ai fait confiance au marché pour me procurer de quoi manger.

Aujourd’hui c’est comme si l’on avait déréglé mon récepteur. Non… en réalité c’est comme quand tu écrivais des messages d’agent secret à l’encre sympathique.

Tu te rappelles, tu les lisais en utilisant les lunettes secrètes ? Voilà. Ce matin j’avais ces lunettes.

On dit que tout se joue dans les marchés.

Aujourd’hui, le marché était baissier. Je ne suis pas spécialiste mais la tendance était claire : les opérateurs n’avaient pas le moral.

Les visages semblaient porter un poids. Parcourant les allées, allant d’un trader à un autre, une peine semblait s’être emparée de tous.

Cette femme, à quelques mètres, paraît perdue. Les amarres comme arrachées par une tempête, les yeux à la dérive sur une mer maintenant plus calme.

Son regard flotte sans but. Tu la regardes. Elle te répond en silence, presque étonnée : oui, je suis vivante.

C’est l’impression d’avoir retrouvé une âme dans une armée de zombies.

Cet homme qui attend son tour est éteint. En pilote automatique, mode sans échec, Est-il encore habité ? Non, Je crois qu’il n’y a plus personne.

Le marché est aux mains des zombies. La vie a été aspirée. Un poids immense écrase ces regards. Tous semblent se mouvoir avec un poids identique sur les épaules.

Je suis le Prof. Robert Neville au milieu des zombies. Mais je n’ai pas trouvé le remède.